Comment maîtriser la honte

Christophe André

Cette émotion a une certaine utilité pour réguler les relations sociales, mais son excès nous désactive, nous fait souffrir et mine notre estime de soi.

Nous avons honte lorsque nous sommes inférieurs aux autres ou lorsque nous violons les règles de comportement. Savoir le gérer et, surtout, l'éviter pour les autres, nous rendra plus satisfaits de nous-mêmes.

Quand on a honte

J'ai vécu cette histoire un automne, quand j'étais étudiant et, pour gagner un peu d'argent, j'ai fait les vendanges dans le sud de la France. Le premier soir, nous nous sommes retrouvés pour dîner autour d'une grande table de vingt ou trente personnes. Il y avait une soupière au milieu de la table et la propriétaire nous a servi.

Les conversations étaient à peine entendues, car les gens étaient fatigués et quelque peu réservés. Juste au moment où je tendais la main pour ramasser mon bol de soupe, une guêpe s'est posée sur ma main, inaperçue, pas même moi, et m'a piquée violemment.

Émue par la douleur, j'ai jeté mon assiette en l'air, qui s'est cassée et a éclaboussé tout le monde. Tous les visages se tournèrent vers moi et soudain il y eut un silence glacial. J'étais là, avec ma main vide et douloureuse, regardant les fragments d'assiettes éparpillés autour de la table et les taches de soupe sur les chemises des convives.

À ce moment-là, je compris qu'il allait être très difficile d'expliquer à tous ces étrangers qu'une guêpe, que personne n'avait vue, pas même moi, et qui avait disparu, m'avait mordu et m'avait fait jeter l'assiette. Grand sentiment de honte …

Un sentiment qui mine l'estime de soi

On dit souvent que la honte est l'émotion d'infériorité , qui se déclenche à chaque fois que l'on se retrouve en faute par rapport aux normes ou règles sociales: jeter un objet dans un magasin, dire des bêtises, faire des bruits avec le ventre …

La honte est une blessure à l'estime de soi et se manifeste avec des niveaux d'intensité variables.

  • À un degré minimal, nous avons de l'embarras ou de la précipitation, qui ne sont pas nécessairement des humeurs destructrices ou douloureuses, juste un peu inconfortables: par exemple, recevoir des compliments en public.
  • D'autres fois, la honte apparaît liée à une erreur ou à une inadéquation de notre comportement: glisser et tomber, dire quelque chose de «stupide» ou annoncer en exclusivité quelque chose que tout le monde connaît déjà.
  • Le sentiment de ridicule est à un niveau supérieur et est associé à la conviction d'avoir porté atteinte à son image sociale, ou provoqué des regards moqueurs ou ironiques: avoir passé la matinée avec la mouche ouverte, ou l'après-midi avec un morceau de persil entre les Etymologiquement, le ridicule vient des mêmes racines que le rire: craindre le ridicule, c'est craindre de faire rire les autres de nous.
  • Toujours au-dessus, on peut tomber dans une honte intense et malsaine …

Quand la honte est un obstacle

La psychologie a beaucoup étudié la culpabilité, ce sentiment d'inconfort douloureux lié à la conviction intime d'avoir commis une faute.

Mais la honte est un sentiment encore plus dévastateur, car il est lié à la personne et pas seulement au comportement.

Vous vous blâmez pour ce que vous avez fait, mais vous avez honte de ce que c'est: les dégâts sont plus graves.

Ainsi, la honte est toujours la honte de soi: la personne rejette non seulement ses actions, mais elle-même complètement.

L'expression «mort de honte» exprime parfaitement la mesure dans laquelle il est possible de se sentir mal.

La honte peut être un problème si elle est intense car elle provoque beaucoup de souffrance et une sorte de «double douleur»:

  1. Le jugement social négatif des autres. S'il y en a un, alors les gens sont souvent beaucoup plus indulgents qu'on ne le pense.
  2. Le jugement négatif que nous portons sur nous. En général, nous sommes nos critiques les plus sévères.

La honte conduit souvent à se replier sur soi, à éviter le regard et le contact des autres, ce qui l'aggrave.

Les psychothérapeutes en tiennent compte: on sait que les victimes de traumatismes - viols, agressions, inceste… - ont tellement honte de ce qu'elles ont subi qu'elles mettent longtemps à oser en parler.

Devrions-nous perdre notre honte?

Pourtant, la honte n'est pas toujours inutile et toxique. Imaginez ce que serait un monde où personne n’aurait jamais honte, où aucun invité n’était mal à l'aise pour avoir brisé un objet, où aucune culpabilité n’était ressentie pour avoir fait souffrir les autres. Ce ne serait ni agréable ni confortable, n'est-ce pas?

En fait, la honte joue un rôle utile pour faciliter la vie communautaire , et c'est pourquoi elle est universelle dans l'espèce humaine: sans elle, les relations sociales seraient beaucoup plus dures et violentes.

Notre société moderne n'utilise plus ouvertement la honte comme instrument de régulation sociale , mais elle l'a fait dans le passé: sur les places de la ville, les condamnés pour des délits mineurs étaient exposés au pilori pour que tout le monde se moque d'eux; ils ont survécu, bien sûr, mais après une telle humiliation, ils n'avaient aucune envie de récidiver.

Dans les écoles, les mauvais élèves étaient placés dans un coin avec des «oreilles d'âne»; cela était censé les motiver à mieux travailler, ou du moins à ne pas perturber le travail des autres.

Notre société est devenue plus intolérante à l’usage public de la honte, et c’est une bonne chose; mais le sentiment de honte et sa bonne utilisation sont toujours utiles sur le plan personnel.

N'essayons donc pas de bannir la honte de l'enregistrement de nos humeurs.

N'ayons pas peur de le ressentir: cela peut nous aider à voir jusqu'où il ne faut pas aller. Nous devons simplement essayer de ne pas nous laisser dominer par elle.

Ne la laissons pas nous isoler: lorsque nous souffrons pour sa cause, confions-la à nos proches, sans perdre de valeur.

Et surtout, essayons de ne pas l'infliger aux autres, en les humiliant: une honte manipulée comme celle-ci et non auto-produite ne conduit pas à un désir de changement personnel mais à un désir de vengeance. Le philosophe Nietzsche l'a parfaitement expliqué dans The Gay Science:

-Qui appelez-vous mal?
-Qui veut toujours embarrasser.
-Que considérez-vous comme le plus humain?
-Évitez l'embarras de quelqu'un.
-Quel est le signe que la liberté a été gagnée?
-Ne plus avoir honte de vous-même.

Se sentir un peu mal à l'aise de temps en temps est plus que suffisant.

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